Le chant du monde by Jean Giono

Le chant du monde by Jean Giono

Auteur:Jean Giono [Giono, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: roman
Éditeur: Gallimard
Publié: 1934-03-05T23:00:00+00:00


De l’autre côté du rideau de saules, le besson, ébloui de poussière de neige, tourna ses plaques, s’accroupit et s’arrêta. Depuis Villevieille il menait ce train d’enfer. Personne. Il était seul. Il regarda vers le fleuve. Il reconnaissait l’endroit, l’anse ronde où il avait marqué les bois. Son grand radeau était là sous la neige en train de dormir.

Le besson était fort en reins et en cuisses. Il avait un petit buste terrible et nerveux et toute la force de son sang de poivre était là sur ses hanches accumulée en deux énormes muscles au milieu de lui comme la force de l’arc est au milieu de l’arc. C’est de là que tout partait. Toute la route de Villevieille jusqu’ici à la plage du radeau avait été faite sur le jeu souple de ses cuisses et de ses reins depuis l’éveil quand il avait enjambé le corps encore endormi de Gina jusqu’à maintenant où il délaçait ses plaques. Il planta ses bâtons dans la neige. Il n’avait pas de gants. Son sang était assez chaud. Il ne sentait le froid que longtemps après les autres. Il regarda. Il était seul. Il ne mettait pas de masque de soie. Il pouvait regarder en plein soleil.

Il sonda la neige. La hauteur d’une moitié d’homme, puis, là-dessous, le bois du radeau sonnait. Avec sa hache il cassa la croûte de glace puis il se mit à creuser. Il ne pouvait pas encore délivrer le radeau. Il voulait voir si les ferrures tenaient toujours.

« Drôle d’homme, se dit le bouvier. Qu’est-ce qu’il croit faire ?»

Il était arrivé aux saules. Il s’était caché sous les branches et il regardait le travail.

Le besson tranchait dans la glace avec sa grande hache. Il essaya de remuer les troncs d’arbres, là-bas au fond.

« Qu’est-ce qu’il fait ? se dit le bouvier. Peut-être qu’il cherche de l’or ?»

Il se l’était dit un peu en riant : ces plaques, cet attirail de montagne lui avaient fait penser à ces chercheurs d’or qui maigrissent là-haut dans le Rebeillard du dessus, mais voilà qu’en fait d’or le besson enleva sa toque pour se gratter la tête.

« Le cheveu rouge !»

Alors, le bouvier se retira doucement. Il en avait les yeux ronds ; plus de surprise que de peur mais quand même très embêté d’être si près du cheveu rouge ; l’autre avait une hache, lui n’en avait pas ; l’autre était leste, lui non.

Le rideau de saules le cachait. Il ne remonta pas à Journas, il obliqua vers les mélèzes, il suivit la lisière ; là il était caché cinq fois sur dix. Il profita d’un recoin d’arbre pour regarder en bas : l’autre ne se souciait pas. Il creusait toujours à coups de hache dans la glace. Le bouvier pensait : « Si on était seulement cinq ou six !»

Mais il fallait aller jusqu’à la ferme et faire vite car l’équipe allait bientôt partir à Villevieille à en juger par l’heure du soleil.

Il faisait aussi vite que tout et il était au Biéchard quand il vit là-bas près de la ferme les gars presque déjà partis pour la ville.



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